Les femmes rurales face aux défis de l’accès aux ressources agricoles

Une terre nourricière… mais pas pour toutes

En Guinée, plus de 70 % de la population vit en zone rurale. Et parmi cette population, les femmes jouent un rôle central dans l’agriculture : elles cultivent, récoltent, transforment et vendent les produits agricoles. Pourtant, elles sont encore très peu nombreuses à réellement posséder ou contrôler les terres qu’elles exploitent. L’accès limité aux ressources agricoles pour les femmes rurales n’est pas seulement une question d’équité ou de justice sociale. C’est aussi un enjeu économique majeur, qui freine le développement global du secteur agricole.

Quels sont ces obstacles qui empêchent les femmes d’obtenir une place équitable dans l’agriculture guinéenne ? Pourquoi ce fléau persiste-t-il alors que leur implication est essentielle ? Et surtout, quelles pistes envisager pour un meilleur accès des femmes rurales aux ressources agricoles ?

La terre, un bien encore trop masculinisé

En Guinée, le droit coutumier est encore très influent en matière de foncier rural. Dans de nombreuses communautés, les terres sont administrées par les chefs traditionnels, quasi exclusivement masculins. Les femmes, même si elles travaillent activement la terre, y accèdent souvent via leur mari ou un parent masculin. En cas de divorce, de veuvage ou de conflit familial, leur droit d’usage peut disparaître en un claquement de doigts.

« Même après 20 ans à cultiver la même parcelle, je n’ai aucun papier pour prouver que ce champ est à moi », confie Mariama, productrice de riz dans la région de Koba. Un témoignage parmi tant d’autres, qui illustre bien la précarité foncière vécue par des milliers de femmes rurales. L’absence de titres fonciers constitue l’un des premiers verrous qui limitent leur autonomie et leur pouvoir d’investissement.

Et sans titre de propriété, impossible d’accéder au crédit, d’hypothéquer une terre pour financer l’achat de matériel agricole ou de stocker les récoltes dans de bonnes conditions. C’est un cercle vicieux : pas de terre → pas de capital → pas de développement.

Accès au financement : un parcours semé d’embûches

Dans les zones rurales, l’accès au crédit agricole est un défi pour beaucoup, mais il est particulièrement complexe pour les femmes. Selon la Banque africaine de développement, seulement 10 % des financements agricoles vont aux femmes, bien qu’elles représentent la majorité de la main-d’œuvre dans ce secteur.

Pourquoi ce décalage ? D’abord, de nombreuses femmes rurales n’ont pas de compte bancaire. Ensuite, la plupart ne disposent pas de garanties exigées par les institutions financières. Et enfin, la maîtrise des outils financiers reste limitée, faute de formation adaptée.

Madame Kadiatou Bah, du groupement maraîcher de Timbi-Madina, témoigne : « On m’a demandé un plan d’affaires, une garantie… Mais comment faire un plan d’affaires quand on ne sait ni lire ni écrire correctement ? »

Des initiatives locales tentent de combler ce fossé, comme les caisses rurales d’épargne et de crédit, souvent soutenues par des ONG. Mais ces efforts restent dispersés et insuffisants face à l’ampleur de la demande.

Des outils, mais pas toujours les bons

L’accès aux intrants agricoles (semences, engrais, pesticides) et aux outils modernes est également inégalitaire. Les femmes travaillent majoritairement avec des outils rudimentaires : houe, daba, machette. Très peu ont accès aux moissonneuses, tricycles de transport ou irrigation moderne. Résultat : une productivité limitée et une dépendance accrue au travail manuel.

À Kissidougou, Aissatou, une agricultrice de 36 ans, nous montre son champ de manioc : « Je commence à 6h du matin, je finis à 18h. Sans machine, c’est le corps qui fait tout ». En l’absence de mécanisation adaptée, ces femmes s’épuisent pour des rendements souvent dérisoires.

Le manque de sensibilisation et de programmes de renforcement des capacités agricoles ne fait qu’aggraver la situation. Beaucoup de plans de distribution de semences ou de subventions ne ciblent tout simplement pas les femmes. Et lorsqu’ils le font, le nombre de bénéficiaires reste réduit.

L’éducation agricole : une solution durable mais encore timide

Une autre clé réside dans la formation technique. Considérées longtemps comme des « aides familiales », les femmes paysannes guinéennes sont rarement impliquées dans les programmes de vulgarisation agricole. Pourtant, elles expriment un réel besoin d’être formées aux techniques modernes, à la gestion, à l’agro-écologie ou à la conservation des produits.

Les rares centres d’appui aux femmes rurales, comme ceux de Dalaba ou de Kindia, montrent que le potentiel est là. Quant les femmes sont formées, leurs performances agricoles, leur gestion des ressources et leur pouvoir décisionnel communautaire s’améliorent significativement.

Mais ces efforts doivent s’ancrer dans une politique publique cohérente, dotée de moyens suffisants, intégrant la spécificité genre à tous les niveaux de la chaîne agricole. Ce n’est pas seulement une question de formation, mais aussi de reconnaissance sociale et politique du rôle des femmes dans l’économie rurale.

Entre traditions et transition : vers une reconnaissance des droits fonciers

Le Pays est engagé depuis 2017 dans une réforme foncière visant à sécuriser l’accès à la terre pour tous. Mais dans les faits, le processus reste lent, notamment dans les zones où la loi coutumière domine le droit écrit.

Certaines communautés ont commencé à enclencher des processus participatifs de cartographie foncière, incluant les femmes dans les discussions. À Faranah, par exemple, un projet pilote mené par une ONG locale a permis à 65 femmes d’obtenir un certificat de tenure sécurisée sur les terres qu’elles cultivent.

C’est peu, mais c’est un début. Ce type d’initiative pourrait être reproduit à plus grande échelle, à condition qu’il y ait une volonté politique et que les leaders traditionnels soient eux aussi sensibilisés à l’importance d’un accès équitable aux terres.

Les femmes rurales comme actrices du changement

On a trop souvent considéré les femmes rurales comme des bénéficiaires passives de l’aide au développement. Or, elles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à s’organiser en groupements, à prendre la parole dans les assemblées communautaires, et à initier des projets agricoles réellement porteurs.

À Labé, le groupement « Djiguiya » a lancé un programme de culture de légumes biologiques sur des parcelles collectives, gérées exclusivement par des femmes. Grâce à l’appui d’un microcrédit local et d’un formateur agricole, elles ont doublé leurs revenus en deux saisons agricoles. L’exemple est encore modeste, mais il montre que, si on leur donne les moyens, les femmes peuvent transformer non seulement leurs conditions de vie mais aussi les trajectoires économiques locales.

Le potentiel est immense. Les femmes rurales guinéennes n’attendent pas la charité. Elles revendiquent leur place, leurs droits et leur rôle dans la transformation du monde rural.

Que faire maintenant ? Des leviers pour avancer

Face aux défis identifiés, plusieurs pistes s’imposent pour améliorer l’accès des femmes aux ressources agricoles :

  • Réformer le cadre foncier en simplifiant les procédures d’enregistrement des terres, en reconnaissant les droits coutumiers et en assurant une représentation féminine dans les comités locaux de gestion foncière.
  • Étendre les programmes de formation agricole aux femmes, en adaptant les supports aux niveaux d’alphabétisation et en intégrant les savoirs locaux.
  • Faciliter l’accès au financement par la mise en place de fonds agricoles genrés, de microcrédits souples ou de systèmes d’épargne communautaires spécifiquement pensés pour les femmes.
  • Renforcer la mécanisation agricole en subventionnant les équipements collectifs au niveau des groupements féminins.
  • Promouvoir la sensibilisation dans les communautés sur le rôle économique des femmes et déconstruire les stéréotypes genrés qui persistent dans le monde agricole.

Au-delà des discours, ce sont des mesures concrètes et une volonté politique claire qu’il faudra mobiliser. Car sans elles, la souveraineté alimentaire du pays restera incomplète et l’autonomisation des femmes rurales, un vœu pieux.

Les femmes rurales guinéennes ne manquent pas d’idées, ni de courage. Elles attendent désormais des politiques publiques et un écosystème agricole qui reconnaît enfin leur valeur. Car comme le dit souvent Fatoumata, une productrice de maïs à Mamou : « Tant que la terre est là, nous sommes là. Mais il est temps qu’elle nous appartienne aussi. »