Une agriculture en première ligne face au climat
En Guinée, près de 80 % de la population dépend directement ou indirectement de l’agriculture pour sa subsistance. C’est un secteur vital, non seulement pour la sécurité alimentaire, mais aussi pour l’économie nationale et les dynamiques rurales. Pourtant, il est désormais confronté à un défi majeur : le changement climatique.
Pluies imprévisibles, saisons agricoles déréglées, sols appauvris, disparition progressive de certaines cultures… Le climat, qui a toujours été un partenaire de l’agriculteur, devient peu à peu son adversaire. Alors que les communautés paysannes s’adaptent tant bien que mal, la question se pose : que reste-t-il de notre modèle agricole traditionnel, face à un climat de plus en plus capricieux ?
Des pluies qui ne tombent plus au bon moment
Traditionnellement, les agriculteurs guinéens pouvaient “lire” le ciel. Les anciens savaient quand semer en observant la nature, les mouvements des nuages, les chants d’oiseaux et les premiers orages. Aujourd’hui, ces repères s’effritent.
À Dabola, par exemple, les premières pluies jadis attendues en mars arrivent parfois en mai, voire en juin. À l’inverse, la saison des pluies s’interrompt brutalement ou devient excessivement violente. Résultat :
- Les semis échouent faute de précipitations régulières,
- Les récoltes sont détruites par les inondations,
- Les rendements baissent d’année en année.
Selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), la Guinée pourrait perdre jusqu’à 20% de sa production agricole d’ici 2050 si aucune adaptation n’est mise en place.
Des cultures historiques menacées
Les cultures telles que le riz, le maïs, le mil et le fonio — essentielles dans l’alimentation guinéenne — sont particulièrement vulnérables. Dans la région de Koundara, des producteurs ont constaté que certaines variétés de riz traditionnel ne supportaient plus les longues périodes de chaleur et la réduction de la nappe phréatique. Le riz pluvial, en particulier, se révèle de moins en moins fiable.
Fanta, agricultrice à Télimélé, témoigne : « L’an passé, nous avons essayé de planter comme d’habitude. Les pluies sont venues tard, puis la chaleur a tout brûlé. On a perdu plus de la moitié de la récolte. »
L’hévéa, la palmeraie et même certaines cultures maraîchères comme la tomate et l’aubergine n’échappent pas non plus aux caprices climatiques. Et lorsque les cultures échouent, ce sont des familles entières qui basculent dans la précarité.
Des sols de plus en plus fragiles
Le cycle naturel de régénération des sols est lui aussi perturbé. L’intensification des pluies entraîne un ruissellement plus fort, qui emporte les couches fertiles. Le vent, accentué par la déforestation croissante, dénude les terres. Ajoutez à cela l’épuisement des jachères, et vous obtenez un cocktail explosif pour l’agriculture guinéenne.
Dans les zones de haute Guinée et de Moyenne Guinée, les paysans observent des craquelures inhabituelles sur les sols en saison sèche, et un engorgement excessif en saison de pluie. Résultat : des terres devenues infertiles, ou inexploitables.
Des communautés qui tentent de s’adapter
Face à ces bouleversements, les producteurs ne restent pas les bras croisés. Beaucoup explorent des stratégies d’adaptation pour limiter les pertes. À Mali, dans la région de Labé, des coopératives agricoles commencent à expérimenter l’agroforesterie : l’association d’arbres et de cultures pour limiter l’érosion et retenir l’humidité.
Dans d’autres localités, la mise en place de petits barrages, de canaux d’irrigation et de fosses de rétention d’eau permettent d’irriguer les parcelles plus efficacement pendant les périodes de sécheresse. La diversification des cultures, également, est une piste explorée par de nombreux agriculteurs pour ne pas dépendre d’une seule production à haut risque.
Mais ces adaptations ont un coût, et tout le monde n’a pas les moyens ou les connaissances pour les appliquer. Les formations techniques, encore rares en milieu rural, restent décisives.
Un rôle crucial des femmes rurales
Dans plusieurs préfectures guinéennes, ce sont les femmes qui tiennent la barre de l’agriculture familiale. Elles sont majoritaires dans la culture du riz, la transformation des produits locaux et la vente sur les marchés. Pourtant, elles disposent de moins d’accès à la terre, au crédit agricole ou à la formation technique.
Fatoumata, présidente d’un groupement féminin à Kissidougou, explique : « Nos mamans faisaient tout à la main. Nous, avec le changement du climat, on doit être plus malignes : on plante sur buttes pour éviter les inondations, on sème plus tôt. Mais on a besoin d’apprendre, et de soutiens concrets. »
Accompagner l’adaptation des femmes rurales devient donc une priorité, tant pour la sécurité alimentaire que pour le développement local.
Les politiques agricoles face au réchauffement
Le gouvernement guinéen a reconnu l’impact direct du changement climatique sur la productivité agricole. Le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC) prévoit plusieurs actions, notamment :
- La promotion de semences résistantes à la sécheresse ou aux maladies,
- Le renforcement des infrastructures d’irrigation,
- La reforestation des zones agricoles sensibilisées à l’érosion.
Mais sur le terrain, les effets tardent à se faire sentir. Les procédures sont lentes, les financements insuffisants, et la coordination entre les acteurs demeure un défi. Beaucoup d’agriculteurs ignorent encore l’existence de ces plans, ou ne savent pas comment y accéder.
Il est également urgent d’intégrer l’information climatique dans les pratiques agricoles. La mise à disposition régulière de bulletins météorologiques fiabilisés, diffusés en langues locales via la radio ou les téléphones portables, pourrait transformer les habitudes de culture et prévenir les pertes évitables.
Risques accrus pour la sécurité alimentaire
Les conséquences de cette transformation climatique dépassent largement les greniers villageois. Elles touchent l’ensemble de la chaîne alimentaire. Lorsque les cultures échouent à l’échelle régionale, les prix flambent dans les marchés urbains. Le riz devient plus rare, le maïs plus cher, les légumes se font plus petits sur les étals.
À Conakry, Mamadou, commerçant au marché de Madina, constate : « Il y a des semaines où l’aubergine double de prix. Les maraîchers nous disent que les pluies ont tout gâté. Nous, on vend plus cher, mais les clients râlent. »
Le risque est donc aussi social. Si l’agriculture faiblit, c’est tout l’édifice socio-économique rural qui s’effondre : emploi, migration, insécurité alimentaire, instabilité des revenus. Sans parler des possibles tensions liées à une gestion chaotique des ressources disponibles (eau, terres cultivables).
Des solutions locales porteuses d’espoir
Malgré les difficultés, des exemples inspirants se multiplient. À Kindia, une ONG en collaboration avec l’Université Gamal Abdel Nasser teste des variétés de manioc et de légumes adaptées aux nouvelles conditions climatiques. À Boké, des jeunes formés à la permaculture développent des micro-fermes écologiques qui misent sur la résilience plutôt que sur la productivité à court terme.
Plus récemment, des ateliers régionaux réunissant agriculteurs, climatologues et agents de l’Etat ont permis de co-construire des solutions spécifiques à chaque zone agroécologique. Car oui, l’adaptation ne peut pas être uniforme : elle doit impérativement s’appuyer sur les savoirs locaux, sur la réalité de chaque terroir.
Et si l’une des clés était là ? Réconcilier les savoirs traditionnels avec la science contemporaine, proposer des politiques basées sur le terrain, et replacer l’agriculteur au cœur du dispositif. Non pas comme simple exécutant, mais comme acteur d’un nouveau modèle agricole, conscient des enjeux climatiques.
Un avenir qui dépend de nos choix d’aujourd’hui
Le changement climatique n’est pas une menace abstraite. Il affecte dès maintenant les sols, les flux d’eau, les cultures et les femmes et hommes qui nourrissent la Guinée. Il exige des réponses transversales, fondées sur la science mais aussi sur l’écoute des communautés rurales.
Informer les agriculteurs, financer leurs initiatives, sécuriser leurs droits fonciers, intégrer les femmes, impliquer les jeunes, investir dans la recherche… Ce chantier est immense, mais il est indispensable si nous voulons préserver notre souveraineté alimentaire.
Car au final, dans chaque assiette de fonio, chaque cuillère de sauce arachide, il y a le travail d’un producteur. Et ces producteurs, aujourd’hui, sont en première ligne d’un combat pour la survie. La question n’est pas de savoir si nous pouvons nous adapter, mais si nous le ferons à temps.