Les conséquences de la fermeture de certaines écoles privées à Conakry

Depuis quelques mois, plusieurs écoles privées de Conakry ont baissé définitivement le rideau. Une décision souvent liée à des difficultés financières, à des problèmes administratifs ou à une gestion interne déficiente. Dans un pays où l’accès à une éducation de qualité reste un défi pour nombre de familles, la fermeture de ces établissements soulève de nombreuses interrogations. Que deviennent les élèves ? Quelles alternatives pour les parents ? Et quelles conséquences à long terme pour le système éducatif guinéen ? Enquête sur une réalité qui touche silencieusement le quotidien de milliers de citoyens.

Un phénomène en progression inquiétante

Depuis l’année scolaire 2022-2023, la Direction Préfectorale de l’Éducation (DPE) de Conakry enregistre une hausse notable de la fermeture d’écoles privées, particulièrement dans les communes de Ratoma, Dixinn et Matoto. Si certaines de ces institutions avaient pignon sur rue depuis plusieurs années, d’autres opéraient de manière plus discrète, parfois même sans agrément officiel.

Les raisons avancées varient : baisse continue du nombre d’élèves, charges d’exploitation trop élevées, non-paiement des frais de scolarité, mais aussi de plus en plus souvent, des injonctions des autorités éducatives à se mettre en conformité avec la réglementation nationale. Résultat : une hémorragie silencieuse qui impacte autant les professionnels du secteur que les familles.

Des familles désorientées face à l’urgence

Pour de nombreux parents, la fermeture soudaine de l’école de leur enfant s’apparente à un coup de massue en pleine année scolaire. Mariam Camara, résidant à Taouyah, témoigne :

« Mon fils était inscrit en 5e dans une école privée du quartier. En mars dernier, on nous a appris que l’administration mettait la clé sous la porte. Du jour au lendemain, il a fallu chercher une autre école, renégocier les frais d’inscription, acheter de nouveaux uniformes. Et surtout, rattraper le programme… ce fut un casse-tête. »

Sans parler de la difficulté de trouver, en cours d’année, une école acceptant un élève sans rupture pédagogique. Le manque de places dans le public et dans les écoles privées de qualité accentue le stress des familles, surtout pour les apprenants en classes d’examen.

Des enseignants pris de court, sans filet de sécurité

Les conséquences ne s’arrêtent pas aux élèves. Ces fermetures laissent aussi sur le carreau des dizaines d’enseignants. Souvent employés sans contrat de travail formel, ces professionnels se retrouvent sans indemnité ni assurance chômage. Mamadou Diallo, professeur de mathématiques, témoigne :

« Depuis que notre école a fermé en janvier, je suis au chômage technique. J’ai tenté de donner des cours particuliers, mais les revenus sont très aléatoires. Sans contrat, difficile aussi de faire valoir mes droits. Nous avons été littéralement abandonnés. »

Dans un secteur privé largement informel, l’absence de mécanismes de protection sociale rend les enseignants particulièrement vulnérables face à ces situations.

Une régulation nécessaire mais douloureuse

Le ministère de l’Éducation nationale, par le biais de ses services déconcentrés, justifie ces mesures par la volonté de mieux encadrer le fonctionnement des établissements privés. Objectif : garantir un standard minimal de qualité et lutter contre l’anarchie observée dans certaines structures créées sans agrément, sans locaux adéquats, ni encadrement pédagogique.

Un communiqué récent de la DPE Ratoma rappelle par exemple que :

  • Tout établissement doit disposer d’un agrément en cours de validité,
  • Un cahier de charges strict est exigé : nombre de salles, équipements, qualifications du personnel,
  • Les inspections du ministère sont appelées à se renforcer pour détecter les irrégularités.

Cependant, cette volonté de formalisation se heurte à une réalité économique difficile pour bon nombre de fondateurs d’écoles. Beaucoup peinent à supporter les coûts d’adaptation réglementaire, et doivent choisir entre se mettre en conformité ou fermer.

Une pression supplémentaire sur les écoles publiques

La fermeture des écoles privées entraîne une migration soudaine et massive des élèves vers les établissements publics. Mais ces derniers sont-ils prêts à absorber cet afflux ?

Déjà confrontées à des sureffectifs, un déficit d’enseignants et des infrastructures vétustes, les écoles publiques des communes urbaines de Conakry peinent à répondre à la demande croissante. À l’école primaire de Gbessia-port, une enseignante confie :

« Depuis janvier, nous avons reçu plus de 70 nouveaux élèves venus d’écoles fermées. Dans certaines classes, on dépasse les 90 élèves. C’est presque impossible d’assurer un bon suivi pédagogique. »

Cette surcharge compromettante affecte directement la qualité de l’apprentissage : élèves mal assis, attention dispersée, corrections incomplètes… et décrochage parfois inévitable pour les plus fragiles.

Des parents aux bourses limitées, des choix compliqués

Contraints de chercher une école alternative, les parents se retrouvent face à un dilemme : payer plus cher pour une école privée réputée ou se tourner vers le public, quitte à faire des concessions sur la qualité perçue de l’enseignement.

Le budget moyen annuel dans une école privée du centre de Conakry varie entre 2 et 3 millions de GNF, sans compter les frais de fournitures, de transport ou de restauration. Un coût souvent hors de portée pour de nombreuses familles de la classe moyenne ou issue du secteur informel.

Conséquence : certains enfants déscolarisés temporairement se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans encadrement, augmentant ainsi le risque d’abandon scolaire ou de travail précoce chez les plus jeunes.

Quelles pistes pour limiter l’impact ?

Face à cette situation préoccupante, plusieurs acteurs du secteur éducatif plaident pour une réponse concertée et durable. Parmi les propositions régulièrement avancées :

  • Mettre en place un fonds de soutien aux établissements privés en difficulté, assorti de critères clairs et rigoureux,
  • Renforcer l’accompagnement des fondateurs d’écoles dans la formalisation administrative et sociale,
  • Élaborer un mécanisme de transition pour les élèves affectés, avec un appui pédagogique temporaire,
  • Développer des partenariats public-privé dans le secteur éducatif afin d’atteindre une complémentarité plutôt qu’une concurrence.

La presse, les ONG et la société civile pourraient également jouer un rôle d’alerte et de médiation, en identifiant les établissements à risque et en soutenant les familles impactées.

Vers une éducation plus inclusive et résiliente ?

La crise traversée par certaines écoles privées de Conakry révèle les failles d’un système éducatif encore trop dépendant de dynamiques individuelles et précaires. Mais elle offre aussi une opportunité : celle de repenser le rôle des écoles privées comme partenaires stratégiques d’un enseignement de qualité pour tous.

Derrière chaque classe qui ferme, ce sont des enfants qui voient leur avenir vaciller, des enseignants désemparés, des familles en détresse. L’éducation n’est pas un luxe, c’est une urgence permanente. Les autorités ont amorcé un travail indispensable de régulation. À présent, il s’agit de trouver l’équilibre entre exigence de qualité et accompagnement réaliste des acteurs du terrain.

En attendant, les parents comme les enseignants espèrent, parfois dans le silence, qu’un jour, chaque enfant de Guinée pourra bénéficier d’un environnement scolaire stable, sûr, et porteur de réussite. Car l’École, au-delà des murs, reste notre plus grand chantier collectif.