La Guinée regorge de merveilles naturelles et culturelles encore méconnues de ses propres habitants. Monts verdoyants du Fouta, plages tranquilles de la Basse-Côte, traditions séculaires de la Haute-Guinée… Le pays, riche de sa diversité, a tous les atouts pour susciter l’intérêt des voyageurs nationaux. Pourtant, le tourisme intérieur reste largement sous-exploité. À l’heure où les dynamiques économiques appellent à la relance par les secteurs porteurs, le tourisme local s’impose comme une alternative viable, ancrée dans le tissu national. Mais comment en faire un levier concret de développement ?
Un potentiel touristique impressionnant mais mal valorisé
La Guinée est souvent surnommée le « château d’eau de l’Afrique de l’Ouest ». Un titre évocateur qui cache une réalité : au-delà de ses richesses en eau, le pays abrite des paysages uniques, une biodiversité rare et une mosaïque culturelle d’une richesse singulière. De la cascade de la Voile de la Mariée à Dubréka aux formations rocheuses impressionnantes de Labé, en passant par les plages de Bel-Air et les sources thermales de Dianki, les sites touristiques ne manquent pas.
Mais que constate-t-on réellement sur le terrain ? Un manque criant d’infrastructures, des routes souvent impraticables, une offre d’hébergement limitée et peu adaptée, ainsi qu’un déficit de communication. Résultat : les Guinéens eux-mêmes ne traversent que rarement leur pays pour le découvrir autrement que par nécessité. Le réflexe du tourisme national reste à construire.
Cela dit, quelques initiatives émergent ici et là. Des acteurs locaux, souvent jeunes et motivés, commencent à organiser des circuits, promouvoir des sites ou développer des maisons d’hôtes. Mais ces efforts restent isolés et peinent à s’inscrire dans une dynamique globale.
Un levier pour la croissance locale
Encourager le tourisme intérieur, c’est bien plus que promouvoir des escapades le week-end. C’est enclencher une chaîne de valeur qui bénéficie directement aux communautés locales. Guide touristique, restaurateur, artisan, transporteur, hôte… Tous peuvent tirer profit d’une activité touristique bien structurée.
À Dalaba, par exemple, Fatoumata, une mère de famille énergique, a transformé sa maison en hébergement rural. Elle accueille chaque mois des visiteurs venus de Conakry ou Kindia, attirés par le climat plaisant et les panoramas du Fouta. Grâce à cette activité, elle scolarise ses enfants et génère un revenu complémentaire. Son exemple illustre le rôle que peut jouer le tourisme dans l’autonomisation économique, notamment des femmes en milieu rural.
Certaines régions, comme la Guinée Forestière, disposent également d’un atout de taille : un patrimoine écologique et culturel propice à l’écotourisme. Développer des circuits respectueux de l’environnement et en cohérence avec les réalités locales peut contribuer à désenclaver économiquement ces zones tout en renforçant la préservation des ressources naturelles.
Quels freins au développement du tourisme national ?
Paradoxalement, malgré ce potentiel évident, plusieurs obstacles freinent le développement du tourisme intérieur :
- Le coût du transport : Se rendre de Conakry à N’zérékoré ou même à Mamou demeure onéreux. Le prix du carburant, les frais de transport informels et le mauvais état des routes dissuadent plus d’un visiteur en herbe.
- Manque d’infrastructures : Peu de sites touristiques disposent de points d’accueil, de signalisation ou de guides qualifiés. Le confort et la sécurité ne sont pas toujours garantis, ce qui peut refroidir les familles ou les groupes d’amis à la recherche d’un voyage détente.
- Absence de promotion ciblée : Les campagnes destinées à inciter les Guinéens à découvrir leur propre pays sont rares. Pourtant, un slogan simple – “Connaître d’abord ta Guinée” – pourrait suffire à éveiller la curiosité locale.
- Absence de politique publique claire : À ce jour, peu d’efforts gouvernementaux structurés sont visibles pour encourager un tourisme basé sur les mobilités internes. Les initiatives restent souvent centralisées ou tournées vers les investisseurs étrangers.
Des opportunités à saisir par les acteurs locaux
Face à ces défis, des solutions existent, et elles commencent souvent à l’échelle communautaire. Plusieurs jeunes entrepreneurs guinéens développent actuellement des plateformes de voyage, des circuits guidés en région ou encore des contenus numériques valorisant le patrimoine national.
C’est le cas d’Amadou, un guide indépendant basé à Kindia. Chaque samedi, il organise des randonnées culturelles à la découverte de la montagne aux chimpanzés et des vestiges historiques locaux. Il communique via les réseaux sociaux, attire une clientèle guinéenne et mise sur des tarifs abordables. Son modèle, duplicable ailleurs, montre qu’il est possible d’innover sans gros moyens financiers, à condition d’avoir la volonté de professionnaliser l’approche.
De même, certaines associations culturelles organisent des “excursions citoyennes” dans les écoles afin de faire découvrir la géographie et l’histoire guinéenne aux jeunes générations. Ces initiatives sont autant de graines semées pour un tourisme à visage humain, enraciné dans l’éducation populaire et l’identité nationale.
Vers une stratégie gagnante : que peut-on faire ?
Valoriser le tourisme intérieur en Guinée nécessite une stratégie cohérente et multisectorielle. Voici quelques pistes d’action réalistes et adaptées à notre contexte :
- Améliorer l’accessibilité : Prioriser la réhabilitation de certaines routes touristiques (Conakry-Dubréka, Mamou-Dalaba, Kankan-Kouroussa) serait un signal fort. De simples aménagements peuvent faciliter la circulation et inviter au déplacement.
- Former les guides et hôteliers : Un partenariat entre les écoles hôtelières et les préfectures pourrait favoriser la formation de jeunes guides formés et motivés.
- Créer une plateforme en ligne centralisée : Un site national, bilingue et interactif, recensant l’ensemble des sites touristiques par région, les hébergements labellisés, les événements culturels, etc.
- Instaurer des “semaines du tourisme local” : Chaque région pourrait, pendant une semaine donnée, mettre en avant ses produits, ses traditions et ses sites pour attirer les visiteurs nationaux et créer un dynamisme.
- Encourager le storytelling local : Inciter les Guinéens à partager leurs récits de voyage, à publier des photos, à documenter leurs déplacements pour créer une culture de la découverte locale.
Certaines villes africaines comme Cotonou ou Accra tirent aujourd’hui des bénéfices significatifs de leur tourisme local, grâce à une dynamique participative. La Guinée peut s’en inspirer tout en adaptant ces expériences à son tissu social et économique.
Et si redécouvrir la Guinée devenait un réflexe national ?
Voyager en Guinée, ce n’est pas seulement se déconnecter de Conakry ou fuir les embouteillages le temps d’un week-end. C’est réapprendre à aimer son territoire, à comprendre ses contrastes, à valoriser son patrimoine. C’est soutenir son voisin artisan, son cousin chauffeur, sa tante qui tient la cuisine d’une auberge improvisée. C’est un acte économique, culturel et même politique.
Alors, pourquoi attendre les vacances à l’étranger, souvent inaccessibles, pour s’offrir une bouffée d’air frais ? La Guinée attend d’être explorée, célébrée, habitée autrement. Le pari du tourisme intérieur, s’il est accompagné intelligemment, pourrait bien transformer durablement des vies et des régions entières. Et si le prochain voyage inoubliable était à seulement quelques heures de route ?