Un terrain longtemps réservé aux hommes
En Guinée, comme dans de nombreux pays africains, le sport a longtemps été perçu comme une affaire d’hommes. Que ce soit sur les stades poussiéreux des quartiers de Conakry ou dans les tournois inter-préfectures, les garçons dominent le paysage sportif. Pendant des décennies, les femmes n’avaient que peu de place, voire aucune, dans plusieurs disciplines reconnues. Et lorsqu’elles s’y aventuraient, c’était souvent au prix de nombreux sacrifices, entre préjugés sociaux, manque de soutien et quasi-inexistence de structures adaptées.
Cependant, cette tendance évolue peu à peu. Des femmes guinéennes, dans l’ombre ou la lumière, prouvent chaque jour que le sport n’est pas une affaire de genre. Elles s’imposent, parfois en silence, souvent avec courage, jetant les bases d’un mouvement plus large vers une meilleure reconnaissance du sport féminin.
Des progrès notables, mais fragiles
Depuis les années 2010, plusieurs initiatives ont vu le jour en Guinée pour promouvoir le sport féminin. Des associations sportives dédiées aux femmes se sont développées, soutenues par des ONG et institutions internationales. En football par exemple, la Ligue guinéenne de football féminin (LGFF) a été créée pour structurer les compétitions féminines. Le championnat national de football féminin existe aujourd’hui, même s’il peine encore à captiver les foules ou à attirer des sponsors majeurs.
Quelques noms émergent également comme figures emblématiques. On pense à Saran Camara, ancienne capitaine de l’équipe nationale féminine de football, devenue ambassadrice de la pratique sportive chez les jeunes filles. Ou encore à Fatoumata Doumbouya, judokate médaillée au niveau régional, qui anime aujourd’hui des ateliers de self-défense pour les adolescentes à Conakry.
Mais au-delà de ces exemples individuels, le véritable indicateur de progrès se lit dans la multiplication des clubs, des compétitions locales, et dans la visibilité croissante des sportives dans les médias. Une présence encore timide, mais essentielle pour créer un changement durable.
Le poids des mentalités
Malgré les avancées, le sport féminin en Guinée reste confronté à un obstacle fondamental : celui des mentalités. Le regard de la société sur les femmes sportives demeure souvent empreint de scepticisme, voire de moquerie. « Une fille qui joue au football, ce n’est pas sérieux », lance t-on parfois dans les quartiers. Des remarques qui pèsent lourd, surtout pour les adolescentes en quête d’estime de soi.
Dans certaines familles, autoriser leur fille à faire du sport, surtout en public ou en tenue adéquate, constitue encore un tabou. Cette pression sociale dissuade bon nombre de jeunes filles de poursuivre leur passion. Une enseignante de collège à Labé témoigne :
« Une de mes élèves voulait participer à la course intercommunale. Ses parents l’ont interdite parce qu’elle devait porter un short. Elle était en larmes. »
Le sport, pourtant, est un puissant vecteur d’émancipation pour les filles. Il renforce la confiance en soi, enseigne la discipline, et peut même ouvrir la voie à un avenir professionnel. Mais pour cela, il faut que la société accepte de voir les femmes courir, transpirer, tomber… et se relever.
Des infrastructures quasi-inexistantes
Un autre frein majeur au développement du sport féminin en Guinée reste le manque d’infrastructures adaptées. Très peu de centres sportifs offrent des conditions minimales pour l’entraînement des femmes : vestiaires sécurisés, créneaux horaires dédiés, matériel adapté. Dans beaucoup de cas, les jeunes filles sont obligées de s’entraîner dans des conditions précaires, souvent à des heures inappropriées, après que les garçons ont terminé leurs séances.
Le constat est encore plus sévère en milieu rural. Là où les installations sportives font déjà défaut pour les garçons, les filles n’ont tout simplement pas d’accès au sport organisé. Une joueuse de handball originaire de N’Zérékoré partage son expérience :
« Nous jouons sur un terrain de terre battue, avec des ballons rafistolés. On n’a pas de tenues uniformes. Mais l’envie est là. »
Une envie qui mérite d’être soutenue par des investissements ciblés dans les infrastructures sportives pour les femmes. Car sans lieux pour jouer, comment espérer voir émerger des talents ?
Un encadrement à développer
Encadrer les filles dans leurs parcours sportifs nécessite également des ressources humaines qualifiées. Or, peu de femmes sont aujourd’hui entraîneuses, arbitres ou dirigeantes dans les instances sportives guinéennes. La formation fait défaut et les modèles sont rares. Pourtant, la présence de femmes dans les postes de responsabilité est un levier puissant pour sécuriser, encadrer et motiver les jeunes sportives.
Certaines initiatives commencent néanmoins à émerger. En 2021, un programme de la Fédération guinéenne de basketball a formé une dizaine de femmes à l’arbitrage. D’autres projets ont été pilotés en collaboration avec les fédérations internationales pour intégrer la dimension genre dans l’encadrement sportif local. Mais ce sont encore des gouttes d’eau dans un désert organisationnel.
L’État, les collectivités locales et les organisations sportives ont ici un rôle crucial à jouer pour professionnaliser l’encadrement féminin, en instaurant des quotas par exemple ou en facilitant l’accès à la formation pour les passionnées.
L’impact sociétal du sport féminin
Au-delà de la simple performance athlétique, le sport féminin peut transformer des vies. Il contribue à la réduction des inégalités, à l’autonomisation des femmes, et à la lutte contre l’oisiveté et les violences basées sur le genre.
Plusieurs ONG opérant en Guinée, comme Plan International ou Girl Power, s’appuient sur le sport pour conduire des campagnes de sensibilisation dans les écoles et les quartiers. Le football, la danse sportive ou le basketball deviennent alors des outils d’éducation populaire, capables de modifier en profondeur les rapports sociaux.
Et c’est justement par ces petits changements concrets que la société guinéenne pourrait évoluer. Une fille qui joue au foot avec ses camarades garçons à l’école, c’est une société qui commence à bousculer les stéréotypes. Un entraîneur qui choisit une femme capitaine de son équipe, c’est une confiance accordée à ses compétences et non à son genre.
Perspectives d’avenir : entre espoir et actions à mener
La dynamique actuelle autour du sport féminin en Guinée, bien que lente, montre qu’un changement est possible. Mais pour qu’il se concrétise durablement, plusieurs actions doivent être menées :
- Renforcement des politiques publiques : l’État doit davantage intégrer le sport féminin dans ses priorités, en allouant des budgets spécifiques et en encourageant une pratique sportive équilibrée dès l’école.
- Soutien des médias : les médias guinéens peuvent jouer un rôle majeur en donnant de la visibilité aux performances féminines, en valorisant les portraits de sportives locales, et en incluant plus de femmes dans les analyses et débats sportifs.
- Engagement du secteur privé : soutenir des clubs ou des événements féminins constitue une opportunité de marque pour les entreprises, tout en favorisant la diversité.
- Mobilisation communautaire : de nombreuses résistances viennent encore des familles et du tissu social. Il est essentiel d’impliquer les leaders communautaires, les parents et les éducateurs dans une approche inclusive du sport.
L’histoire du sport féminin en Guinée s’écrit encore, page après page. Elle n’est ni figée, ni linéaire. Mais elle avance, portée par des jeunes filles obstinées, des pionnières discrètes et des passionnées convaincues qu’un terrain de jeu peut aussi être un espace de liberté. Et si demain, la prochaine étoile du football africain était une fille de Matoto ou de Kankan ?
Le pari vaut la peine qu’on y croit. Et surtout, qu’on y investisse.