Le franc guinéen en chute : impact sur le pouvoir d’achat des citoyens

Une monnaie qui vacille : le franc guinéen face à la réalité économique

Dans les rues animées de Conakry, les conversations n’ont plus le même ton. À Madina comme à Koloma, une phrase revient souvent : « Tout a augmenté ! » Derrière cette plainte récurrente se dissimule un phénomène bien concret : la chute continue du franc guinéen face aux devises étrangères, notamment le dollar américain et l’euro. Si cette baisse peut sembler abstraite pour certains, elle a des conséquences bien réelles sur la vie quotidienne des citoyens, affectant leur pouvoir d’achat, leurs habitudes de consommation et la stabilité économique du pays.

Le franc guinéen perd du terrain : chiffres et constats

Depuis l’année 2022, le franc guinéen (GNF) traverse une période de dépréciation marquée. Selon les données de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG), le taux de change a dépassé les 9 500 GNF pour 1 dollar américain au début de l’année 2024, contre environ 8 600 un an plus tôt. Certaines transactions sur le marché parallèle l’évaluent même au-delà des 10 000 francs pour 1 dollar.

Cette chute s’explique par plusieurs facteurs :

  • La dépendance à l’importation, notamment pour les produits de grande consommation.
  • Une balance commerciale déficitaire, aggravée par des coûts logistiques toujours élevés.
  • La baisse des recettes en devises issues de l’exportation des ressources minières, en raison des fluctuations des prix sur les marchés mondiaux.
  • Un marché informel des devises très actif, souvent hors du contrôle de l’État.

Cette situation pèse lourdement sur les épaules des citoyens. Et cette fois, ce ne sont pas seulement les chiffres qui parlent : ce sont les étals, les paniers et les foyers guinéens.

Entre sacs de riz et factures salées : un quotidien plus coûteux

À Boussoura, Aminata, mère de trois enfants, gère un petit restaurant de quartier. Elle le dit sans détour : « Il y a deux ans, je pouvais acheter un sac de riz à 220 000 GNF. Aujourd’hui, il dépasse les 400 000. Si je garde les mêmes prix, je travaille à perte. Si j’augmente, mes clients disparaissent. »

Comme elle, des milliers de commerçants, restaurateurs et ménagères font des équations quotidiennes impossibles. L’inflation galopante, qui accompagne la chute du franc guinéen, a fait flamber les prix dans presque tous les secteurs :

  • L’alimentation : Les produits importés subissent de plein fouet la dépréciation. Le lait en poudre, l’huile, la farine ou encore les conserves voient leurs prix augmenter chaque mois.
  • Le carburant : Bien que les prix soient encadrés par l’État, les pénuries chroniques et le marché noir exacerbent la situation. Moins de carburant signifie des frais de transport plus élevés, répercutés sur les marchandises.
  • La santé : Avec des médicaments souvent importés et peu produits localement, les coûts des soins sont en constante augmentation.

Tout cela alimente un sentiment d’impuissance. Comment joindre les deux bouts lorsque les revenus restent figés et que le panier des dépenses ne cesse de gonfler ?

Les revenus stagnent, les charges explosent

En Guinée, le revenu moyen mensuel n’évolue pas au même rythme que les prix. Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est établi à 440 000 GNF, soit moins de 45 dollars au taux informel. Même dans les secteurs publics ou miniers, les augmentations salariales restent timides, ne compensant pas les hausses des prix de base.

Pour de nombreuses familles, le recours au crédit, aux tontines, voire aux sacrifices personnels (moins de repas, reports de soins ou de scolarité) devient la norme. L’érosion du pouvoir d’achat n’est donc pas qu’une expression économique : elle est vécue au quotidien comme une série de choix douloureux, souvent entre le nécessaire et l’indispensable.

Les petits commerçants, artisans et vendeurs ambulants — pilier de l’économie informelle — sont directement impactés. Moins de clients, plus de charges, marges réduites : le modèle de subsistance est mis à mal.

La dollarisation rampante : un signe qui ne trompe pas

Dans certains secteurs, en particulier l’immobilier ou les services de luxe, les prix sont affichés directement en dollars. Des loyers aux billets d’avion, en passant par les services de fret, de plus en plus d’acteurs refusent de transiger en francs guinéens, qu’ils considèrent comme trop instables.

Cette « dollarisation de fait » est inquiétante pour l’économie nationale. Elle traduit un affaiblissement de la confiance dans la monnaie locale et crée un système à deux vitesses : les rares qui ont accès aux devises, et les autres. Une inégalité qui renforce les tensions sociales.

Des initiatives locales pour limiter la casse

Face à cette tempête monétaire, les citoyens ne restent pas passifs. Des initiatives émergent, souvent à petite échelle, mais porteuses d’espoir :

  • Les tontines numériques : des plateformes mobiles permettent d’organiser des cotisations en ligne, facilitant l’accès au crédit communautaire, à des taux plus abordables que ceux des microfinances.
  • Le retour à la production locale : de plus en plus d’ONG et de groupements encouragent la consommation locale (produits agricoles, savon artisanal, jus naturels) pour limiter la dépendance aux importations.
  • Des marchés solidaires : certaines associations organisent des ventes à prix réduits pour soutenir les familles vulnérables.

Ces réponses montrent une résilience forte, mais elles restent insuffisantes tant que l’instabilité macroéconomique persiste.

Quelles perspectives pour le franc guinéen ?

Les autorités monétaires affirment travailler à stabiliser la situation. Le programme d’assainissement budgétaire, les partenariats avec le FMI, et l’incitation à l’investissement productif sont autant de leviers envisagés. Mais les effets se feront sentir sur le moyen ou long terme.

En attendant, pour Bintou, habitante de Kankan, l’important est de trouver « chaque jour un peu de riz, un peu de sauce, et faire autrement avec ce qu’on a ». Une philosophie résiliente, certes, mais révélatrice du pragmatisme que la majorité des Guinéens appliquent au quotidien pour vivre malgré une monnaie de plus en plus fragile.

Les marchés fluctuent, les devises s’envolent, mais sur le terrain, ce sont les choix du quotidien qui comptent : acheter ou reporter, cuisiner ou improviser, vivre ou survivre. Et à ce jeu-là, le franc guinéen nous rappelle qu’une devise, ce n’est pas seulement de la monnaie, mais aussi une part de notre dignité économique.

Vers des solutions structurelles : une priorité nationale

Stabiliser le franc guinéen ne peut reposer uniquement sur des annonces. Cela nécessitera des réformes profondes et cohérentes. Quelques pistes sont régulièrement évoquées par les économistes et les instances nationales :

  • Renforcer les exportations hors secteur minier : une diversification de l’économie, avec une valorisation des productions agricoles et manufacturières locales, est indispensable.
  • Favoriser les investissements nationaux : en rendant l’environnement fiscal, administratif et juridique plus attractif pour les investisseurs guinéens comme étrangers.
  • Lutter contre le marché parallèle des devises : un meilleur encadrement et une facilitation de l’accès aux devises pour les importateurs légaux peuvent réduire l’impact du marché noir.
  • Promouvoir la culture financière : parents, jeunes, entrepreneurs… tous auraient à gagner à mieux comprendre les mécanismes monétaires et à adapter leurs comportements économiques en conséquence.

La monnaie est un miroir de l’économie, et le franc guinéen reflète aujourd’hui les fragilités mais aussi le potentiel inexploité du pays. Le chemin est difficile, mais les défis peuvent devenir opportunités si la volonté d’agir dépasse les diagnostics.

En attendant, une chose est sûre : tant que le cours du franc vacillera, ce sont les étals des marchés, les cuisines des foyers et les poches des Guinéens qui en paieront le prix. Il est temps de remettre la monnaie au centre des préoccupations nationales, non pas comme un simple indicateur, mais comme un levier de justice économique.