La tension monte entre majorité et opposition à l’approche des élections

Une tension palpable à l’approche des scrutins

Alors que le calendrier électoral s’égrène lentement, les premiers signes d’une joute politique particulièrement tendue se font sentir en Guinée. Majorité présidentielle et opposition semblent engagées dans une course nerveuse dont les règles restent floues, entre débats sur les conditions du scrutin, recomposition du paysage politique et méfiances persistantes. Dans les rues comme dans les salons politiques, le mot « élection » rime avec incertitude, parfois avec crispation. À mesure que la date approche, le ton monte.

Ce climat, loin d’être nouveau, s’inscrit dans une suite de rendez-vous électoraux contestés où l’absence de consensus a souvent nourri violence verbale, manifestations et, parfois, répression. Mais cette fois encore, la donne semble particulière. Pourquoi ? Parce que les enjeux sont doubles : il ne s’agit pas seulement de renouveler des institutions, mais aussi de redéfinir les rapports de force dans un pays toujours en quête de stabilité démocratique.

Une opposition en manque de garanties

Du côté de l’opposition, les inquiétudes se cristallisent autour de l’organisation même du scrutin. Plusieurs figures de l’opposition, interrogées ces dernières semaines, pointent du doigt l’absence de transparence dans la révision du fichier électoral, le manque de neutralité de certaines institutions et le flou entretenu autour du calendrier définitif.

« Comment croire à une élection équitable quand l’organe chargé de son organisation ne donne aucune visibilité sur les préparatifs ? », s’interroge un cadre du principal parti d’opposition, sous couvert d’anonymat. Un scepticisme partagé dans plusieurs quartiers populaires de Conakry, où des citoyens évoquent déjà les « ratés » des précédents scrutins encore frais dans les mémoires.

Également au cœur des tensions : la composition de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), dont certains membres sont accusés de proximité avec le pouvoir exécutif actuel. Une situation qui alimente le doute sur la capacité de l’institution à agir en toute impartialité dans un contexte aussi sensible.

Une majorité qui se veut rassurante mais inflexible

Face aux critiques, la majorité adopte un ton plus rassurant… du moins en apparence. Plusieurs responsables politiques affirment que toutes les dispositions seront prises pour garantir un scrutin libre et inclusif. À les entendre, l’opposition chercherait surtout à « préparer le terrain d’une contestation en cas de défaite ».

« Nous avons le devoir d’avancer. On ne peut pas rester otage de la suspicion permanente. Si l’opposition a des preuves de manipulation, qu’elle les apporte », déclarait récemment un porte-parole du gouvernement lors d’une conférence de presse à Kaloum.

Mais dans les faits, peu d’initiatives ont été prises pour instaurer un véritable dialogue inclusif. Le pouvoir semble déterminé à suivre sa feuille de route, laissant peu de place aux réajustements proposés par ses adversaires. Une posture qui, à défaut de désamorcer les tensions, les alimente davantage.

Un débat public sous pression

La tension se traduit aussi dans l’espace médiatique. Si les plateaux télé et les antennes radio se remplissent à mesure que le scrutin approche, le débat reste miné par les invectives, la désinformation et parfois même les menaces à peine voilées.

« Il y a une polarisation inquiétante. Chaque camp parle à sa base sans chercher à convaincre l’autre », note un analyste politique basé à Labé. Cet effet d’écho empêche toute construction d’un consensus minimal et fragilise encore davantage une opinion publique souvent tenue à distance des véritables enjeux électoraux.

Difficile en effet d’élaborer un programme structuré ou d’organiser des débats de fond quand l’entière stratégie politique consiste à discréditer « l’autre camp ». À terme, ce manque de débat constructif ne dessert pas uniquement les partis, mais toute la démocratie guinéenne.

Des réalités de terrain qui interpellent

Si les leaders politiques s’affrontent sur les plateaux, dans les quartiers, les préoccupations sont ailleurs. À Kindia, comme à Nzérékoré ou à Kankan, les citoyens interrogés expriment avant tout le souhait de voir des élections apaisées, accompagnées de projets concrets.

« On veut des routes, de l’électricité, de l’emploi. Pas des disputes à la télé », souffle Mariam, une commerçante rencontrée au marché de Madina. Un point de vue partagé par Mamadou, conducteur de moto-taxi à Labé : « Ce qu’on veut, c’est voter sans casse, et que les élus fassent vraiment leur travail. »

Ces voix illustrent l’écart grandissant entre la classe politique et une population de plus en plus fatiguée des tensions cycliques. Dans les zones rurales notamment, où les moyens d’information sont parfois limités, beaucoup disent ne pas saisir les enjeux du vote. Certains s’interrogent même : « Est-ce que ça change vraiment quelque chose ? »

Des risques bien réels pour la stabilité sociale

La montée des tensions n’est pas sans conséquences. À Conakry, plusieurs mouvements de jeunes ont déjà tenté d’organiser des marches, souvent dispersées par les forces de sécurité. Des incidents ont été signalés dans certaines communes périphériques, où des accrochages ont opposé des militants de partis rivaux.

La crainte d’un embrasement n’est pas infondée. Rappelons qu’en 2020, les violences liées au contexte électoral avaient fait plusieurs dizaines de victimes. Les observateurs internationaux n’ont cessé depuis d’alerter sur les signaux faibles d’un retour aux surenchères politiques dangereuses.

L’enjeu dépasse donc le strict cadre partisan : il concerne l’ensemble de la structure sociale du pays. Car derrière les luttes de pouvoir, c’est la cohésion nationale qui est en jeu, dans un contexte déjà fragilisé par les tensions ethniques et la précarité persistante dans plusieurs régions.

La société civile appelle à la retenue

Heureusement, des voix se lèvent pour appeler au calme et à la responsabilité. Plusieurs organisations de la société civile multiplient les appels à la retenue et au dialogue. L’ONG Jeunes Leaders pour la Démocratie a récemment annoncé le lancement d’une campagne baptisée « Parlons-élections, pas confrontations » dans huit régions du pays.

« Il faut désamorcer la peur. Il faut réapprendre à dialoguer. Surtout, il faut que les jeunes sachent qu’ils ont un rôle à jouer : non pas comme instruments de violence, mais comme acteurs de changement », insiste Fatoumata Barry, coordinatrice du projet.

Des leaders religieux sont également entrés en scène, appelant les Guinéens de toutes obédiences à la prudence. Dans son sermon du vendredi passé, l’Imam de la grande mosquée de Bambéto a exhorté les croyants à « rejeter la haine et la division au nom de la politique ».

Vers un tournant ou un remake ?

À quelques semaines du scrutin, deux chemins se dessinent pour la Guinée. Le premier est celui d’un processus électoral apaisé, même difficile, porté par un minimum de consensus et de transparence. Le second est celui du déjà-vu : désaccords, contestations, rues occupées… avec, à la fin, une démocratie toujours vacillante.

Tout dépendra de la volonté réelle des acteurs en présence de faire primer l’intérêt collectif sur les agendas partisans. Le chantier reste immense, mais pas impossible. D’autant que de nombreux Guinéens, au-delà des appartenances politiques, aspirent à une chose : la stabilité.

Dans cette lumière, il revient aussi aux médias, à la société civile, et à chaque citoyen de jouer son rôle. Rappeler les faits, dénoncer les abus, donner une tribune aux initiatives constructives : autant de gestes simples mais essentiels pour éviter que les tensions de cette campagne ne se transforment, une fois de plus, en crise nationale.

Alors, la question demeure : notre démocratie est-elle prête à franchir un cap, ou continuera-t-elle à tourner en rond au rythme des tensions cycliques ? Le ballotement entre ces deux options, plus que jamais, est entre les mains des Guinéens eux-mêmes.