Quand les ressources minières redessinent les cartes de la sécurité locale
En Guinée, les zones minières sont perçues comme de véritables eldorado économiques, attirant investisseurs étrangers, entreprises multinationales, et espoirs d’emplois pour les jeunes locaux. Mais derrière cette ruée industrielle, une réalité moins reluisante émerge pour les populations riveraines : l’insécurité. Entre tensions communautaires, dégradation du tissu social et défiance vis-à-vis des forces de l’ordre, la sécurité dans les zones minières est devenue une préoccupation majeure pour de nombreux Guinéens.
Des régions sous tension face à une croissance désordonnée
Dans la région de Boké, cœur de l’exploitation bauxitique guinéenne, les promesses de développement ont souvent laissé place à des frustrations. Routes abîmées par des camions surchargés, pollution de l’air et des cours d’eau, pénurie d’eau potable dans certains villages, expropriations arbitraires sans compensation équitable… Ce sont là quelques griefs exprimés par les habitants, à l’image de Mamadou Barry, un cultivateur de Kolaboui :
« Avant, on dormait les portes ouvertes. Depuis que les sociétés minières sont là, il y a des bagarres entre jeunes, de la délinquance. Nos enfants n’ont plus les mêmes repères », confie-t-il, le regard fatigué.
À ces impacts sociaux s’ajoute un manque de régulation dans l’octroi des permis d’exploitation, ce qui crée des conflits entre exploitants industriels et artisans locaux. Dans certaines zones rurales, des affrontements ont opposé orpailleurs traditionnels et agents de sécurité d’entreprises minières, rendant le climat particulièrement tendu.
Insuffisances des forces de sécurité déployées
La sécurité publique dans les zones minières repose principalement sur les forces de gendarmerie et de police nationale. Toutefois, leur présence reste inégale, souvent concentrée autour des sites industriels voués à la protection des intérêts stratégiques. Le citoyen lambda, lui, se sent souvent relégué au second plan.
« Ce sont les machines qu’on protège, pas les gens », lâche Aminata, une enseignante de Sangarédi. Son école borde l’une des routes principales empruntées par les géants bauxitiers. Elle raconte les risques quotidiens auxquels elle et ses élèves sont confrontés :
« Les camions filent à toute vitesse. Un jour, un élève a été renversé à la sortie des classes. Depuis, beaucoup de familles craignent de laisser partir les enfants seuls. »
Par ailleurs, l’absence de coopération structurée entre les entreprises minières et les collectivités locales accroît ce sentiment d’abandon. Dans plusieurs localités, les autorités coutumières et municipales dénoncent le manque de dialogue sur les problématiques sécuritaires quotidiennes : vols, agressions nocturnes, tensions interethniques exacerbées par les migrations internes rapides.
Des conflits nés de la précarité et de l’injustice perçue
La montée de l’insécurité s’enracine aussi dans le déséquilibre des bénéfices issus de l’exploitation minière. Tandis que des milliards de dollars quittent la Guinée en bauxite ou en or, les habitants, eux, peinent à accéder à des services de base. L’emploi dans les sites industriels reste limité. Et les promesses de développement local, inscrites dans les cahiers de charges, peinent souvent à se concrétiser.
Cette frustration devient un terreau fertile pour les actes de vandalisme, les émeutes sporadiques, et parfois même une radicalisation des jeunes sans perspectives. En mai 2023, à Kintinian, dans la préfecture de Siguiri, des affrontements violents ont opposé des jeunes orpailleurs à la société minière opérant dans la région, provoquant plusieurs blessés graves et la suspension temporaire des activités.
Ces épisodes traduisent une perte de confiance envers les institutions, locales comme nationales. Une perte qui fragilise durablement le pacte social et favorise la loi du plus fort.
Que font les entreprises minières ?
Sur le papier, les entreprises minières doivent intégrer la sécurité communautaire dans leurs plans de responsabilité sociétale. Certaines mènent des initiatives de médiation sociale, financent des projets communautaires, forment des agents de sécurité avec des normes plus respectueuses des droits humains.
Mais les résultats restent très inégaux, et les mécanismes de suivi souvent opaques. Lorsqu’une entreprise construit un poste de santé ou une école, cela fait bonne figure, bien sûr. Mais cela ne suffit pas à répondre aux besoins profonds des populations en matière de sécurité physique, foncière et économique.
La plupart du temps, les représentants des sociétés minières affirment respecter les lois en vigueur et rejettent la responsabilité sur les autorités guinéennes. Une posture qui, sans dialogue sincère avec les communautés, fragilise davantage le climat social.
Quels leviers pour améliorer la sécurité dans ces zones ?
Améliorer la sécurité au sein des zones minières ne saurait se réduire à renforcer le nombre de patrouilles ou ériger des clôtures autour des sites extractifs. Il s’agit avant tout de rétablir la confiance. Cela suppose plusieurs étapes clés :
- Un dialogue structuré avec les communautés locales : Au-delà des consultations préalables souvent formelles, il est crucial d’instaurer des comités mixtes, incluant jeunes, femmes, sages, et autorités locales, pour co-construire des solutions sécuritaires adaptées.
- Une meilleure redistribution des ressources minières : La loi sur le contenu local et les fonds de développement communautaires doivent être appliqués de manière transparente. Les fonds dégagés doivent réellement bénéficier aux infrastructures sociales, y compris la sécurité.
- Le renforcement des capacités des forces de sécurité locales : Police communautaire, médiateurs sociaux, brigades de veille citoyenne… Des modèles hybrides peuvent préserver la paix tout en assurant un minimum de protection quotidienne.
- La formalisation de l’artisanat minier : Plutôt que de réprimer systématiquement les orpailleurs traditionnels, il est possible de structurer ce secteur, le réguler, et créer des coopératives encadrées, limitant ainsi les conflits avec les grandes entreprises.
Mieux comprendre les peurs locales, pour bâtir des partenariats durables
Souvent, ce ne sont pas les activités minières en elles-mêmes qui sont rejetées, mais la manière dont elles s’imposent. Derrière chaque ressource exploitée, il y a des villages, des familles, des coutumes, des espoirs. Et surtout, une demande profonde : être considérés, non comme de simples spectateurs, mais comme des acteurs à part entière du développement de leur région.
À Télimélé, une ONG locale a récemment mis en place des séances de théâtre participatif pour évoquer les tensions entre jeunes chômeurs et sociétés d’exploitation aurifère. Ces pièces jouées en plein air permettent aux habitants de verbaliser leurs douleurs, tout en proposant des messages alternatifs de dialogue et de cohabitation pacifique. Des initiatives modestes, mais qui apportent un répit temporaire et une écoute souvent absente ailleurs.
Face à l’ampleur de la carte minière guinéenne, qui ne cesse de s’agrandir, il devient essentiel d’avoir une réponse globale, équitable et coordonnée. Une réponse qui ne se contente pas de garantir la sécurité des flux économiques, mais qui place celle des vies humaines au cœur des priorités.
L’urgence d’une gouvernance minière centrée sur les citoyens
La sécurité dans les zones minières est bien plus qu’une question de maintien de l’ordre : c’est le reflet de la gouvernance minière, de la justice sociale, et du respect que l’on accorde aux populations affectées. Tant que ces communautés auront le sentiment que leur terre est exploitée sans leur consentement effectif, sans bénéfices réels, et sans surveillance indépendante, les tensions sociales continueront d’alimenter l’insécurité.
Faut-il donc renoncer à l’exploitation minière ? Certainement pas. Mais il est urgent de revoir la manière d’exploiter, de partager et surtout, de protéger. Sécuriser les investissements, oui, mais surtout les vies. C’est là que se jouera le véritable avenir minier de la Guinée.