La Guinée et la CEDEAO : vers une réconciliation politique durable ?

Une transition à l’épreuve du dialogue : où en est la Guinée avec la CEDEAO ?

Depuis la chute du régime d’Alpha Condé en septembre 2021, la Guinée vit une période de transition politique complexe. Si les autorités de la transition, menées par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), ont promis un retour à l’ordre constitutionnel, les relations avec la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont longtemps été tendues. Aujourd’hui, une question persiste : le pays et l’organisation sous-régionale peuvent-ils trouver une voie de réconciliation durable ?

L’enjeu dépasse largement les seules considérations diplomatiques. Il s’agit aussi de restaurer la confiance entre les institutions nationales et internationales, de garantir les droits des citoyens, et d’assurer une stabilité socio-économique indispensable au développement. Pour la Guinée, enclavée et dépendante de sa coopération régionale, la normalisation des liens avec la CEDEAO n’est pas un luxe, mais une nécessité.

Origine du froid diplomatique : retour sur les engagements non tenus

Lorsque le CNRD prend le pouvoir en 2021, une période de flottement s’installe. La CEDEAO, habituée à intervenir rapidement face aux changements de régime anticonstitutionnels, réclame un calendrier clair de transition. Elle appelle à un retour rapide à l’ordre démocratique, rappelant le besoin fondamental de respecter les institutions électives. La Guinée, elle, invoque une volonté de refonder l’État, de « rectifier les tares structurelles » et de mettre en place les bases d’une démocratie plus robuste.

Le désaccord s’enracine. En septembre 2022, la CEDEAO impose des sanctions ciblées : interdiction de voyager pour certains membres du gouvernement de transition, gel de leurs avoirs financiers à l’étranger. Des mesures rarement anodines, perçues par la junte comme une ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain.

En toile de fond, les réformes avancent lentement : un recensement administratif complexe, un climat politique crispé, et un dialogue national en demi-teinte. La société civile, elle, balance entre scepticisme et espoir, peinant à suivre le rythme souvent technocratique de la transition.

Des initiatives récentes pour calmer le jeu

Certaines évolutions récentes laissent cependant entrevoir une volonté d’apaisement. En octobre 2023, une rencontre discrète à Abuja entre les représentants guinéens et ceux de la CEDEAO montre des signes d’ouverture. Plus récemment encore, un comité technique conjoint a été mis en place pour suivre les étapes du chronogramme de transition, accepté de part et d’autre.

Par ailleurs, lors du sommet extraordinaire de la CEDEAO tenu à Accra en janvier 2024, la Guinée a réitéré son engagement à tenir des élections d’ici décembre 2024. Un calendrier plus ferme, plus précis, et enfin assorti d’indicateurs concrets : mise en place d’une commission électorale indépendante, révision du fichier électoral, et réforme de la justice pour garantir la régularité des scrutins.

Ces avancées, bien que tardives, donnent un souffle nouveau aux discussions diplomatiques. Elles desserrent l’étau des sanctions et ravivent des partenariats financiers suspendus. Des bailleurs comme la Banque Africaine de Développement ou l’Union Européenne recommencent à s’intéresser aux projets structurants du pays.

Quelle perception au sein de la population ?

Dans les rues de Conakry, à Labé, ou encore dans les zones minières de Boké, les opinions sont partagées. Si certains voient dans la transition l’opportunité de “tourner la page” d’un système perçu comme usé, d’autres accusent la lenteur du processus et son opacité.

Mamadou Diallo, jeune entrepreneur basé à Kindia, confie : « Je soutenais le changement au début. Mais après deux ans, je ne sais pas toujours quand on votera, ni dans quelles conditions. Les réunions entre le gouvernement et la CEDEAO, c’est bien. Mais sur le terrain, on n’a pas encore vu le changement. »

Du côté des leaders religieux et communautaires, la tension semble également réelle. Beaucoup appellent à une communication plus transparente et un dialogue national inclusif. L’exclusion de certaines voix de l’opposition lors des premières concertations de 2022 a laissé des traces qui ne s’effacent pas aussi facilement qu’un communiqué officiel.

Des intérêts géopolitiques qui pèsent lourd

L’intégration régionale ne se limite pas à de bonnes intentions. Pour la Guinée, rester dans les bonnes grâces de la CEDEAO, c’est aussi garantir l’accès aux corridors commerciaux, aux marchés frontaliers, et aux projets d’infrastructure communs comme ceux du réseau ferroviaire Transafricain ou des initiatives en matière d’électricité.

La Guinée partage des frontières avec six pays, dont plusieurs sont membres actifs de la CEDEAO. Couper les ponts, c’est risquer un isolement qui freinerait les échanges économiques et la mobilité des travailleurs. Or, dans un pays où une grande partie de la population vit de petits commerces transfrontaliers ou d’activités informelles, l’impact serait direct.

Rappelons qu’en 2023, les recettes des douanes issues des échanges avec le Sénégal et la Côte d’Ivoire représentaient près de 28 % des revenus extérieurs. Un recul des investissements étrangers ou un blocage des corridors logistiques, comme ce fut le cas au Mali lors de l’embargo de 2021, serait catastrophique pour une économie guinéenne déjà fragilisée par l’exode rural, la dépendance aux exportations minières, et le manque d’infrastructures locales.

Des chantiers prioritaires pour une sortie de crise durable

Pour que la réconciliation avec la CEDEAO se traduise par des effets concrets, la Guinée devra avancer sur plusieurs fronts :

  • La tenue d’élections crédibles : il ne suffit pas d’organiser un scrutin, mais de garantir son caractère inclusif, transparent et sécurisé. Cela implique un fichier électoral fiable, une participation équitable de toutes les forces politiques, et un dispositif logistique bien préparé.
  • Un dialogue national réel : au-delà des comités organisés, il faudra créer un cadre où tous les acteurs – partis, syndicats, associations, religieux, diaspora – peuvent prendre part aux débats démocratiques.
  • Un renforcement de l’appareil judiciaire : pour juger les cas d’abus, mais aussi pour donner confiance aux investisseurs étrangers dont l’arrivée est capitale dans la relance économique.
  • Une redéfinition des priorités économiques : au lieu de s’appuyer uniquement sur les minerais, la Guinée peut diversifier son économie par l’agriculture, l’artisanat, le tourisme durable et les services numériques. Et pour cela, la stabilité est le socle indispensable.

Chacun de ces défis est colossal, mais ils sont aussi l’occasion pour la Guinée de montrer sa capacité à se relever avec méthode et responsabilité. Les partenaires, de leur côté, attendent des signaux forts et cohérents. Car la patience, on le sait, n’est pas un crédit illimité.

Une CEDEAO sous pression, elle aussi

Il serait injuste de considérer la CEDEAO comme un arbitre neutre. L’organisation est elle-même fragilisée par des critiques récurrentes : mauvaise gestion des crises, efficacité discutable, lenteur de réaction. La vague de coups d’État dans la région (Mali, Burkina Faso, Niger) a mis à nu ses limites. Et chaque sanction adoptée sans concertation alimente la défiance populaire envers des institutions régionales souvent perçues comme lointaines.

Mais ces dernières semaines, le ton de la CEDEAO semble évoluer. Moins de menaces, plus d’incitations. Moins de conditionnalités brutales, plus de négociations techniques. Un changement de méthode souhaité aussi par les sociétés civiles ouest-africaines, fatiguées d’assister à des bras de fer politiciens tandis que les besoins concrets persistent : accès à l’eau, à l’électricité, à l’emploi, à l’éducation.

Pour la Guinée, ce contexte peut être une opportunité. En mettant en avant ses efforts de stabilisation, son engagement pour des élections crédibles, et sa volonté de coopérer, elle pourrait regagner sa place dans une CEDEAO qui cherche elle aussi à se réinventer.

Vers un nouvel équilibre ?

Rétablir une relation de confiance entre la Guinée et la CEDEAO ne passe ni par les slogans, ni par les discours solennels. Cela demande des actes vérifiables, partagés, ancrés dans les réalités du pays. Cela suppose aussi un engagement de long terme, où la stabilité politique rime avec justice, participation citoyenne et relance économique.

Le chemin est encore long, mais il est balisé. Le succès de cette réconciliation dépendra autant de la vision stratégique des dirigeants que de leur capacité à écouter les préoccupations de ceux qu’ils gouvernent. Et comme souvent en politique, c’est à l’épreuve des faits que se mesure la sincérité des engagements.

Alors, la Guinée parviendra-t-elle à reconstruire des liens solides avec ses voisins de l’Afrique de l’Ouest ? L’Histoire reste à écrire. Mais chaque pas vers plus de dialogue, de transparence et de responsabilité est déjà, en soi, un acte de réconciliation.