Des décisions monétaires sous haute surveillance
La Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) a récemment annoncé une série de décisions stratégiques pour garantir la stabilité économique du pays. Dans un contexte mondial marqué par les tensions économiques post-COVID, la guerre en Ukraine et l’inflation persistante, ces mesures ont une portée significative pour notre économie nationale. Mais que veulent-elles réellement dire pour les Guinéens ? S’agit-il de simples ajustements techniques ou de décisions qui impacteront directement notre quotidien ? Décryptage.
Un taux directeur révisé : freiner l’inflation, encourager l’épargne ?
Le 8 avril dernier, la BCRG a annoncé l’augmentation de son taux directeur, qui passe de 11,5 % à 13,5 %. Pour les novices, ce taux représente l’intérêt auquel les banques commerciales empruntent de l’argent auprès de la Banque centrale. Autrement dit, lorsqu’il augmente, cela rend le crédit plus cher et tend à ralentir la distribution de l’argent dans l’économie.
Pourquoi cette hausse ? Officiellement, pour lutter contre l’inflation qui, selon les derniers chiffres, atteignait près de 11,3 % en glissement annuel. Dans une déclaration publiée par la BCRG, il est précisé que cette décision vise à “contenir la pression inflationniste et encourager la mobilisation de l’épargne locale.”
Un commerçant de Madina, interrogé par Maguineeinfos, explique : “Si les banques rendent les prêts plus chers, nous allons moins emprunter pour investir. Cela freine un peu notre activité. Mais si cela doit contenir l’augmentation des prix, on espère que cela fonctionnera.”
Des réserves de change stabilisées : une stratégie sécuritaire
Autre mesure mise en avant : le renforcement du niveau des réserves de change. Au 31 mars 2024, la Guinée disposait de près de 1,2 milliard de dollars en réserve, ce qui représente environ quatre mois de couverture des importations. Ce chiffre peut sembler abstrait, mais il constitue un bouclier essentiel pour stabiliser le franc guinéen.
Une réserve solide sert à rassurer les partenaires internationaux. Elle permet aussi à la BCRG de défendre la monnaie nationale sur le marché en cas de turbulence. Cela signifie que même si les prix à l’étranger augmentent ou si la demande en devises s’accentue, la banque pourra intervenir pour éviter une trop forte dépréciation du GNF, ce qui aurait des conséquences directes sur le coût des produits importés, du carburant aux denrées de base.
Contrôle des changes et lutte contre la dollarisation
Dans le prolongement de cette politique, la Banque centrale a réaffirmé sa volonté de mieux encadrer les opérations de changes. Cette stratégie vise à limiter ce qu’on appelle la “dollarisation” de l’économie guinéenne, c’est-à-dire l’utilisation du dollar (ou d’autres devises fortes) pour des transactions domestiques — une pratique qui affaiblit la monnaie nationale.
La BCRG a ainsi ordonné le renforcement des inspections dans les bureaux de change et mis en demeure plusieurs établissements n’ayant pas respecté les normes. Selon un employé de banque à Kaloum : “Depuis quelques mois, les contrôles sont devenus beaucoup plus fréquents. Cela freine les échanges en devises non réglementées, mais c’est aussi parfois un casse-tête pour nos clients.”
La lutte contre la dollarisation permettra sans doute de renforcer le rôle du franc guinéen dans les échanges locaux, mais elle impose aussi une restructuration de certaines habitudes, notamment dans l’immobilier ou les importations.
Nouvelles règles pour les banques commerciales
Dans le cadre de cette réorientation stratégique, la BCRG demande désormais aux établissements financiers une transparence accrue sur leurs taux d’intérêt, les frais bancaires, et la répartition de leurs crédits. Un audit des portefeuilles de prêts a été ordonné pour mieux contrôler les financements alloués aux secteurs productifs.
Les banques devront également respecter un ratio plus strict de liquidité, afin de garantir leur solidité financière. Selon les analystes, cette mesure veut éviter que les banques prennent trop de risques ou deviennent trop dépendantes de financements extérieurs, souvent instables.
Sur le terrain, cela pourrait se traduire par une baisse des crédits non productifs et une priorité donnée aux secteurs comme l’agriculture, les PME locales ou les projets d’infrastructure. Une bonne nouvelle pour les porteurs de projets ? Espérons-le.
Impact sur l’économie réelle : entre espoir et prudence
Les décisions prises sont-elles purement techniques ou vont-elles changer la donne pour l’économie réelle ? À écouter les économistes interrogés, comme Dr Oumar Keita, enseignant à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia, “le recentrage de la politique monétaire est indispensable pour redonner confiance, notamment dans le climat des affaires. Mais il faudra veiller à ne pas étouffer l’investissement local.”
Dans les marchés de Conakry, certains vendeurs témoignent déjà de la baisse de la demande face à des prix devenus trop élevés. Une vendeuse de légumes au marché Taouyah confie : “Quand les gens ont moins d’argent à cause du coût de la vie, ils achètent moins. Ces histoires de taux d’intérêt, on ne comprend pas tout, mais on sent que tout est plus dur.”
L’enjeu sera donc de trouver un équilibre entre rigueur monétaire et soutien à la croissance. Car une politique trop restrictive pourrait freiner les initiatives locales, dans une économie largement informelle où les petits commerces jouent un rôle vital.
Et pour le secteur du tourisme ?
La question peut sembler secondaire, mais elle est loin de l’être. Car un environnement macroéconomique stable est un facteur essentiel d’attractivité pour les investisseurs touristiques. Lodges, agences de voyage et transporteurs ont besoin de prévisibilité pour consolider leurs projets. Or, une inflation élevée et une monnaie instable freinent ces investissements.
Avec la stabilisation annoncée par la BCRG, de nouveaux chantiers se profilent : meilleure accessibilité au financement pour les opérateurs touristiques, baisse progressive des frais en devises ou encore amélioration de la confiance globale. Néanmoins, pour que ces effets se concrétisent, les décisions prises doivent s’accompagner de réformes structurelles.
Comme le rappelle Mme Binta Camara, responsable d’une agence réceptive à Dubréka : “Ce n’est pas seulement une question de macroéconomie. Il faut aussi des routes, de l’électricité et une fiscalité stable. Mais si la Banque centrale fait sa part en stabilisant l’économie, nous pourrons avancer.”
Une communication plus accessible, un enjeu majeur
Malgré l’importance des décisions annoncées, il reste un défi de taille : leur compréhension par le public. Le langage monétaire reste peu accessible, et rare sont les citoyens qui lisent les textes publiés sur le site de la BCRG. Pourtant, ces décisions façonnent concrètement leur quotidien.
Il serait opportun que la Banque centrale collabore davantage avec les médias locaux pour vulgariser ses actions, expliquer leurs effets concrets et dialoguer avec les préoccupations des citoyens. Trop souvent, la distance entre les institutions financières et le terrain creuse un sentiment de méfiance.
Changer de taux directeur, contrôler la masse monétaire, renforcer la réglementation : autant de décisions qui semblent lointaines, mais qui trouvent leur sens lorsqu’elles sont incarnées par les réalités vécues.
Regard vers l’avenir
La Guinée traverse une phase décisive de son développement économique. Dans un climat encore fragile, ces décisions monétaires peuvent jouer le rôle de levier ou de frein. La priorité reste de préserver le pouvoir d’achat des citoyens, soutenir les secteurs productifs et garantir une stabilité monétaire durable.
Le rôle de la BCRG n’est pas seulement d’agir dans les coulisses des marchés financiers. Il est aussi — et surtout — de garantir un cadre sain pour les activités économiques locales, du petit boutiquier de Gbessia à l’entrepreneur touristique de Kankan. C’est dans cette équation, entre technique et pragmatisme, que se joue l’avenir économique de notre pays.
Et vous, avez-vous ressenti les effets de ces décisions dans votre quotidien ? Cet article est aussi le vôtre : vos témoignages comptent pour mieux comprendre l’impact réel de ces choix économiques sur notre société.