Quand la lumière s’éteint à Conakry
Depuis plusieurs semaines, les coupures d’électricité se multiplient à Conakry, replongeant la capitale guinéenne dans une obscurité pesante et, pour beaucoup, inquiétante. Cette crise énergétique, qui ressurgit à intervalle régulier, met à nu les fragilités structurelles du secteur électrique guinéen. Chez Maguineeinfos.com, nous avons recueilli les témoignages de citoyens, d’experts et d’acteurs du terrain pour comprendre les origines de ces perturbations et leurs conséquences sur la vie quotidienne des habitants.
Des délestages de plus en plus fréquents et imprévisibles
À Matoto, Hamidou Sylla, gérant d’un petit cybercafé, a dû fermer son établissement trois jours la semaine dernière. « Il n’y avait pas de courant de midi jusqu’à minuit. Même avec un groupe électrogène, le coût du carburant est devenu insupportable », confie-t-il, visiblement épuisé.
Comme lui, de nombreux commerçants tirent la sonnette d’alarme. Les coupures ne suivent plus de logique apparente : elles surviennent aussi bien le jour que la nuit, sans préavis. Cela complique toute planification d’activité économique, scolaire ou domestique.
Les quartiers les plus touchés ? Dixinn, Ratoma, Sonfonia : des zones à forte densité où la demande excède nettement l’offre disponible. Selon la société Électricité de Guinée (EDG), les délestages seraient dus à des « contraintes techniques » liées à la baisse de la production hydraulique en cette saison sèche. Un argument qui ne convainc plus tout le monde, surtout à l’heure où plusieurs centrales thermiques et barrages ont été inaugurés ces dernières années.
Un secteur énergétique en construction… mais toujours fragile
La Guinée regorge de potentialités hydroélectriques, pourtant à peine 35 % des Guinéens ont un accès régulier à l’électricité, selon les données de la Banque mondiale. Ces dernières années, les autorités ont pourtant multiplié les annonces sur les avancées du secteur, avec la mise en service de barrages comme Kaléta (240 MW) et Souapiti (450 MW à terme).
Mais ces installations ne suffisent pas à stabiliser la distribution électrique. Pourquoi ? Selon un ingénieur du ministère de l’Énergie, qui souhaite garder l’anonymat, plusieurs facteurs se conjuguent :
- Le réseau de transport (les lignes à haute tension) est vétuste et saturé.
- Les investissements dans la distribution (transformateurs, câbles) ne suivent pas la cadence.
- Les pertes techniques et commerciales (vols d’électricité, branchements frauduleux) restent élevées.
L’EDG elle-même reconnaît que près de 45 % de l’électricité produite n’arrive jamais jusqu’au consommateur, victimes d’un mélange de pertes techniques et de fraudes. Un chiffre qui donne le vertige et qui pose la question fondamentale : à quoi sert de produire plus si l’on ne peut pas livrer correctement ?
Les conséquences sur la vie quotidienne à Conakry
Dans les hôpitaux, les écoles, les entreprises et même dans les foyers modestes, les répercussions sont nombreuses. Au Centre de Santé de Yimbaya, le docteur Aminata Camara déplore : « Lorsqu’il n’y a pas de courant, nos vaccins risquent de se détériorer, les réfrigérateurs ne tiennent pas et certaines consultations doivent être reportées ».
Côté éducation, nombreux sont les élèves qui préparent le BEPC ou le bac sans électricité à la maison. Fatoumata, élève en Terminale à Kipé, révise souvent à la lumière d’une lampe torche ou d’une bougie. « C’est fatigant et ça me donne mal à la tête. Mais je n’ai pas le choix », dit-elle en haussant les épaules.
Dans les hanants (zones d’activité artisanale ou commerciale), les couturières, coiffeurs, cordonniers ou imprimeurs vivent une situation similaire. Beaucoup s’organisent avec des groupes électrogènes, au prix d’un effort financier qui rogne leur rentabilité.
A-t-on sous-estimé la demande ?
À mesure que la population augmente et que le tissu économique s’élargit, la demande en énergie croît rapidement. Or, le développement de nouvelles infrastructures tarde, et les populations en subissent directement les conséquences.
La surmédiatisation des infrastructures nouvelles masque trop souvent une vérité simple : produire de l’électricité est une chose, mais la transporter et la rendre accessible à un coût abordable en est une autre. À ce jour, la majorité de l’électricité consommée à Conakry ne provient pas de sources locales fiables, mais repose encore sur des solutions coûteuses et provisoires.
Un responsable d’une ONG active dans le secteur énergétique nous confie : « La croissance urbaine n’a pas été accompagnée d’un véritable plan directeur énergétique. Résultat : on court après la demande au lieu de l’anticiper ».
Des alternatives locales, mais limitées
Face aux coupures persistantes, certains citoyens explorent des solutions alternatives. Panneaux solaires individuels, batteries de secours, lanternes rechargeables par USB… Ces petites innovations offrent un brin de répit mais restent loin de répondre à tous les besoins énergétiques, notamment ceux des entreprises ou des institutions scolaires.
Le solaire semble prometteur, mais pour l’heure, il demeure souvent l’apanage des familles les plus aisées ou des ONG. Même constat pour les groupes électrogènes : ils permettent une certaine autonomie, mais leur entretien et leur alimentation en carburant représentent un coût non négligeable.
Certains jeunes entrepreneurs tentent de combler le vide avec des start-ups locales proposant des services de recharge à domicile ou la location de petits panneaux solaires. Une dynamique encourageante, mais encore marginale.
À quand une réponse structurelle ?
La récurrence de ces crises appelle une réponse de fond. Il ne s’agit pas seulement de produire plus, mais de produire mieux et de manière durable. À travers un plan d’investissement qui priorise la modernisation du réseau, limite les pertes, encourage les énergies renouvelables et améliore la gouvernance du secteur.
Les citoyens, de leur côté, réclament plus de transparence. Où va l’électricité produite ? Pourquoi certains quartiers sont desservis tandis que d’autres sont laissés dans l’ombre pendant plusieurs jours ? Comment évaluer l’efficacité réelle de l’EDG et des concessions faites à des opérateurs étrangers ?
Le ministre de l’Énergie a récemment annoncé de « nouvelles mesures pour stabiliser l’approvisionnement » sans en préciser les contours. Les Guinéens, eux, attendent des actes plus que des promesses, et surtout une volonté politique claire.
Vivre avec la pénurie, s’adapter ou revendiquer ?
L’hiver énergétique de Conakry ne semble pas s’achever de sitôt. Pourtant, au milieu de cette obscurité, certains choisissent la résilience : entraide entre voisins, adoption de petits gestes pour économiser l’énergie, pression accrue sur les autorités locales.
Mais pour combien de temps encore les citoyens accepteront-ils cette situation ? L’énergie n’est pas un luxe, c’est un service essentiel. Et à l’heure où tant de jeunes rêvent de quitter le pays, faute d’opportunités stables, garantir un accès fiable à l’électricité pourrait bien être un levier économique autant qu’un geste citoyen.
En attendant, à Conakry, la nuit tombe plus vite qu’ailleurs. Et l’espoir d’un avenir lumineux reste suspendu — entre deux coupures.