Une ville en mutation : Conakry repense son futur urbain
À travers ses avenues bruyantes, ses quartiers populaires en effervescence et ses corniches baignées par l’Atlantique, Conakry se transforme à vue d’œil. Capitale en pleine effervescence, la ville étire ses artères, soulève de la poussière et construit son avenir à coups de béton, de plans d’aménagement et parfois… de controverses. L’enjeu est de taille : offrir à ses près de 3 millions d’habitants un cadre de vie plus digne, mieux organisé, et surtout adapté à sa croissance démographique galopante.
Mais derrière les inaugurations et les schémas directeurs se cachent souvent des défis bien ancrés dans le quotidien : embouteillages chroniques, habitat précaire, manque d’espaces verts ou encore gestion défaillante des déchets. Alors que les grues s’élèvent un peu partout, une question s’impose : la modernisation de Conakry profite-t-elle réellement à ses habitants ?
Les grands chantiers en cours : entre ambition et urgence
Depuis quelques années, le visage de Conakry change sous l’impulsion de plusieurs projets structurants. Parmi les plus emblématiques figure la réhabilitation du centre-ville, notamment du quartier administratif de Kaloum. Objectif : désengorger Kaloum en favorisant le transfert des institutions vers d’autres communes.
À Sonfonia, la construction d’un nouveau pôle urbain suscite l’intérêt. Pensé comme un « deuxième centre de Conakry », ce projet veut répondre à l’étroitesse géographique de la péninsule de Kaloum. Sur place, des routes sont en cours de bitumage, de nouveaux logements voient le jour et des infrastructures éducatives et sanitaires sont annoncées.
Par ailleurs, la rénovation et l’extension du réseau routier visent à fluidifier le trafic, notamment sur l’axe Hamdallaye-Kagbelen, l’une des principales veines de la capitale. Des échangeurs sont en projet, tandis que les anciens tronçons laissent peu à peu place à des routes élargies et mieux asphaltées.
Côté transports, plusieurs études ont été lancées concernant un éventuel système de transport rapide par bus (BRT), voire un train urbain reliant les extrémités de la ville. Mais à ce jour, ces projets restent à l’étape de la réflexion ou du plaidoyer.
L’habitat face à la pression démographique
Avec une croissance urbaine annuelle estimée à plus de 4 %, Conakry est l’une des capitales africaines où la pression démographique est la plus forte. Chaque jour, des familles s’installent en périphérie dans l’espoir d’un avenir meilleur. Le résultat est visible : une prolifération de quartiers spontanés souvent mal viabilisés, sans accès fiable à l’eau, à l’électricité ou aux services de base.
Des efforts sont menés pour promouvoir des logements sociaux ou des ensembles immobiliers modernes, notamment dans les communes de Dubréka et Coyah. Mais ces projets, souvent coûteux, restent hors de portée des revenus moyens des habitants. Comme l’explique Fatoumata Bah, mère de trois enfants installée à Yimbaya : « J’ai vu les immeubles sortir de terre. C’est beau, mais avec un revenu mensuel de 1 200 000 GNF, comment je peux espérer y vivre ? »
La question de l’expropriation soulève aussi des tensions, notamment dans des zones ciblées pour de nouveaux aménagements. Les indemnisations tardent, les concertations sont jugées insuffisantes. La ville change, certes, mais parfois au détriment de ceux qui l’habitent depuis toujours.
Environnement urbain : une équation toujours difficile
La transformation de Conakry ne se joue pas uniquement sur le front immobilier ou routier. Il y a aussi l’urgence écologique. Les décharges sauvages pullulent, les caniveaux débordent, surtout en saison des pluies, et les plages, pourtant touristiques, peinent à rester praticables.
Malgré des campagnes régulières de « journées citoyennes de salubrité » organisées par les collectivités locales, le problème persiste. Les raisons sont multiples :
- Absence de politique efficace de tri et de collecte des déchets
- Manque de points de collecte en périphérie
- Comportements citoyens peu alignés avec les objectifs environnementaux
Certains quartiers comme Ratoma ou Kipé ont vu naître des initiatives locales pour la gestion des déchets, en partenariat avec des ONG. Mais ces efforts restent encore isolés. Pourtant, si l’image d’une Conakry moderne veut perdurer, elle devra aussi tenir compte de son hygiène urbaine.
Un urbanisme souvent sans les citoyens
L’un des paradoxes de la transformation urbaine de Conakry reste la faible implication des citoyens dans les grands projets. Les maquettes impressionnent, les conférences abondent, mais dans les quartiers, beaucoup disent ne pas être consultés.
« On nous dit que c’est pour notre bien, mais on n’a jamais participé à une réunion pour discuter du nouveau plan du quartier », confie Mamadou Sékou, habitant de Koloma. Cette absence de concertation alimente souvent une méfiance, voire un rejet des projets d’envergure.
Pourtant, une urbanisation inclusive passe nécessairement par des populations informées, écoutées et impliquées dans les décisions qui les concernent. Plusieurs urbanistes locaux recommandent d’adopter une approche plus participative, incluant des diagnostics sociaux préalables aux grands travaux.
Le potentiel touristique, une carte à jouer
Parmi les perspectives qu’ouvre cette transformation urbaine, le tourisme figure en bonne place. Avec son littoral, ses îles (Kassa, Roume, etc.), son marché coloré de Madina ou encore ses monuments comme le Musée national, Conakry a de quoi séduire. Mais l’accessibilité, la sécurisation des sites ou encore la disponibilité d’infrastructures hôtelières restent à améliorer.
Certains projets récents, comme l’embellissement des corniches ou la mise en valeur du port de Boulbinet, veulent renforcer l’attractivité touristique de la ville. L’installation de signalétiques modernes et la réhabilitation de lieux emblématiques montrent une volonté de mieux recevoir. Reste à savoir si cela s’inscrira dans une démarche durable et respectueuse des cultures locales.
Entre promesses et pragmatisme
Il serait injuste de nier les avancées de ces dernières années. Routes rénovées, bâtiments administratifs modernisés, projets de nouveaux quartiers… Conakry avance, parfois lentement, souvent dans la douleur, mais avec une réelle volonté de se hisser à la hauteur des capitales africaines qu’on cite en exemple.
Mais pour que cette transformation bénéficie à tous, elle doit s’accompagner de réformes en profondeur : accès au logement, gestion durable des déchets, services de proximité, participation citoyenne. Ce sont là les véritables piliers d’une modernisation inclusive.
Derrière chaque immeuble flambant neuf, se cache une question essentielle : à qui profite la ville en devenir ? Et plus encore : comment faire pour que chacun, quel que soit son quartier, son statut ou ses moyens, y trouve sa place ?
Le défi est immense, certes. Mais Conakry, fort de ses énergies citoyennes, de sa jeunesse créative et de son ancrage historique, a plus d’une ressource. À condition que cette transformation ne soit pas qu’un chantier bétonné mais un véritable projet humain.