Alpha Condé : retour sur un parcours politique toujours controversé

Une figure imposante du paysage politique guinéen

Alpha Condé, ancien Président de la République de Guinée, incarne à la fois l’espoir d’un renouveau démocratique et les complexités d’un pouvoir fortement contesté. Sa trajectoire politique n’a jamais laissé indifférent. De dissident historique à chef d’État, son parcours soulève autant d’admiration que de critiques acerbes. Pour beaucoup, il incarne une figure charismatique, tenace, mais aussi ambivalente.

Né en 1938 à Boké, Alpha Condé quitte très jeune la Guinée pour poursuivre ses études en France. C’est là qu’il s’engage en politique, au sein de mouvements militants panafricanistes et anticolonialistes. Très tôt, il obtient une reconnaissance dans les cercles intellectuels et politiques grâce à son éloquence et sa connaissance approfondie des dynamiques africaines post-coloniales.

Mais comment ce professeur d’université, exilé durant des décennies, a-t-il réussi à gravir les sommets du pouvoir en Guinée ? Et pourquoi son nom reste-t-il aussi clivant ?

Un opposant de longue date à Sékou Touré et Lansana Conté

Le parcours d’Alpha Condé est d’abord celui d’un opposant résolu. Refusant l’autoritarisme du régime de Sékou Touré, il développe durant les années 70 et 80 une critique acérée du pouvoir guinéen depuis l’étranger. En fondant le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG), il devient une figure emblématique de l’opposition en exil.

Ses critiques ne s’arrêtent pas avec la mort de Sékou Touré : Condé s’oppose par la suite au régime de Lansana Conté, au pouvoir de 1984 à 2008. Malgré son éloignement physique, il reste très actif dans les cercles diplomatiques africains, publiant tribunes et ouvrages pour dénoncer la gouvernance autoritaire de son pays natal.

Arrivé finalement en Guinée dans les années 90, Alpha Condé ambitionne de transformer ses convictions théoriques en réalité politique. Mais le terrain guinéen est miné. En 1998, lors de la présidentielle, il est arrêté dans la foulée du scrutin, accusé de vouloir quitter illégalement le pays avec des documents compromettants. Il passera près de deux ans en prison. Un épisode qui assoit sa stature de martyr politique mais qui reste controversé quant à la véracité des faits reprochés.

L’accession au pouvoir : un tournant historique

Le 21 décembre 2010, Alpha Condé devient le premier président démocratiquement élu de la Guinée, après un scrutin jugé globalement crédible malgré des tensions post-électorales. À 72 ans, il accède enfin à la magistrature suprême, après plus de 40 ans passés dans l’opposition. C’est un soulagement pour une partie de la population, fatiguée par les décennies d’instabilité politique et militaire.

Son arrivée au pouvoir suscite une forte attente. Il promet dès les premiers jours de lutter contre la corruption, de relancer l’économie et d’améliorer les services publics. L’homme, longtemps perçu comme l’incarnation de l’intégrité, incarne alors un espoir de changement.

Des réformes marquées par le réalisme économique

Sur le plan économique, les premières années de son mandat sont marquées par des décisions jugées audacieuses : relance des investissements dans les mines, développement des infrastructures, accords signés avec de grands groupes miniers et partenaires internationaux. Sous son leadership, la Guinée parvient à attirer de nouveaux investisseurs, notamment dans le secteur stratégique de la bauxite.

Le barrage hydroélectrique de Kaléta, inauguré en 2015, symbolise cette nouvelle dynamique. Il permet une amélioration significative de la fourniture d’électricité, notamment à Conakry. Mais derrière cette vitrine, nombre d’observateurs soulignent des zones d’ombre : manque de transparence dans certains contrats, corruption persistante, et inégalités dans la répartition des bénéfices économiques.

Par ailleurs, les questions sociales restent un point de friction. Malgré quelques avancées, les inégalités régionales, le chômage des jeunes et les défaillances du système de santé pèsent toujours lourd dans le vécu quotidien des Guinéens.

Un second mandat controversé

En 2015, Alpha Condé est réélu avec 58% des voix. Pourtant, des voix commencent à s’élever, même parmi ses anciens partisans. Plusieurs affaires d’usage excessif de la force lors de manifestations opposent le pouvoir à une frange de la population qui se sent exclue des bénéfices du développement. Les accusations de répression politique se multiplient.

Mais c’est surtout l’annonce d’une réforme constitutionnelle en 2020 qui marque un tournant décisif. Officiellement, il s’agissait d’« adapter » la Constitution à de nouvelles réalités sociales. En réalité, cette initiative permet surtout à Alpha Condé de briguer un troisième mandat, malgré un tollé populaire et une contestation massive.

Des semaines de manifestations, organisées notamment par le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), font plusieurs morts. Le scrutin du 18 octobre 2020 est validé par la Cour constitutionnelle, mais entaché d’accusations de fraude. Alpha Condé remporte, selon les chiffres officiels, plus de 59% des voix. Une victoire amère, tant la fracture nationale est profonde.

Une chute brutale, un symbole en question

Le 5 septembre 2021, les forces spéciales guinéennes, dirigées par le colonel Mamadi Doumbouya, renversent Alpha Condé après plus de dix ans de gouvernance. Le coup d’État est rapide. Sans résistance apparente, l’ex-président est arrêté, puis placé en résidence surveillée. Cet événement marque un point de rupture : l’homme qui avait promis la démocratie est renversé par la force.

De nombreux citoyens, lassés par la violence des dernières années, saluent dans un premier temps le départ d’Alpha Condé. Mais cette joie est nuancée par une crainte partagée : celle d’un retour à l’instabilité chronique.

Dans les jours qui suivent, la rue guinéenne s’interroge : qu’a-t-on réellement gagné ? Le pouvoir change de mains, mais les défis restent. Alpha Condé, quant à lui, reste silencieux dans un premier temps. Son image, auparavant celle d’un combattant de la liberté, est désormais brouillée entre les souvenirs d’un opposant charismatique et le bilan trouble d’un président contesté.

Un héritage divisant mais incontournable

Il serait simpliste de réduire Alpha Condé à une seule facette. Son influence sur la vie politique guinéenne est profonde et ambivalente. Il a été un intellectuel, un exilé, un opposant historique, puis un président élu et enfin un chef d’État au pouvoir prolongé à travers une réforme constitutionnelle contestée. Rarement une figure politique guinéenne aura cristallisé autant de passions opposées.

Pour certains, il restera celui qui a sorti la Guinée de l’isolement économique et initié de véritables projets structurants. Pour d’autres, il aura trahi ses idéaux de jeunesse en s’accrochant au pouvoir au mépris de la Constitution qu’il jurait de défendre.

Dans les conversations à Conakry comme à Labé ou Nzérékoré, les débats sont vifs. Un chauffeur de taxi, interrogé récemment dans la capitale, résumait ainsi le sentiment général : « Ce qu’il a fait de bon, personne ne peut le nier. Mais il a fini par ressembler à ceux qu’il combattait. »

Alors, Alpha Condé : héros du renouveau ou symbole du désenchantement démocratique ? La réponse dépend du regard que l’on porte sur ces dix dernières années. Ce qui est certain, c’est que son nom restera gravé dans l’histoire politique de la Guinée, non seulement pour ce qu’il a accompli, mais aussi pour ce qu’il n’a pas su, ou voulu, accomplir.